Brassaï photographe des nuits parisiennes

Photo portrait de Brassaï par le photographe Emiel van Moerkerken

Crédit : Emiel van Moerkerken

Arrivé à Paris en 1924, Gyula Halász adopte le pseudonyme Brassaï, hommage à sa ville natale, Brasov. Immédiatement, le photographe hongrois plonge dans le milieu artistique parisien, fasciné par la littérature à La Sorbonne et la littérature française qu'il découvre lors de cafés littéraires. Ami de Jacques Prévert, il fréquente aussi Paul Morand et Henry Miller, qui pour ce dernier écrira la préface de "Paris de Nuit" (1933) et qui scellera une collaboration fructueuse. Ce réseau d'artistes et d'intellectuels (Picasso, Dalí, Henri Michaux) nourrit son ambition de photographe de rue et de flâneur nocturne, toujours à la recherche d'un secret ou d'un aspect insolite de la vie nocturne.

En parallèle, Brassaï publie dans la Revue Minotaure, renforçant sa réputation dans le groupe Surréalisme. Son goût pour le fantastique par le regard et la poésie, hérité su surréalisme, lui permet de transcender la simple documentation photographique et de proposer un réel rendu fantastique. 

Enraciné dans le réel, son travail se démarque par son aspect poétique et parfois onirique, mêlant  l'ombre et la lumière au noir et blanc.

Techniques et style : entre clair-obscur et remps de pose

Photo auto-portrait de Brassaï avec son appareil photo sur son trépied dans un paris nocturne.

Auto-portrait de Brassaï, 1932, Boulevard Saint-Jacques - Crédit : Estate Brassaï Succession-Philippe Ribeyrolles

Le style de Brassaï se caractérise par une maîtrise du temps de pose, essentielle à la photographie de nuit. En allongeant les poses sur pellicule, il fixe les traînées de gaz, les phares des voitures et les reflets sur la Seine, créant des clichés dynamiques où la ville semble en mouvement. Son appareil, souvent compact, et ses objectifs lumineux lui permettent de saisir la lumière la plus fugace, dans un noir profond contrastant avec un blanc éclatant.

Cette technique donne aux images un effet cinématographique, comme dans son album "Paris de nuit", où chaque photo devient un portrait de la ville. Son regard, surnommé L'Œil de Paris, capte la magie du quotidien, révélant le brouillard matinal des quais, l'envoûtante atmosphère des cafés, les bals interlopes et les ruelles du quartier Montparnasse.

Thèmes explorés

Vie nocturne et lieux interlopes

Photo en noir et blanc d'un couple amoureux prise à la Gare Saint-Lazare par Brassaï en 1937.

Les Amoureux de la Gare Saint-Lazare, 1937 - Brassaï

Brassaï explore les maisons closes, les cafés-concerts, les bals et les soirées clandestines, dévoilant une haute société en quête de plaisir et les marginaux de la vie nocturne. Il photographie les prostituées, les travailleurs de la nuit, du boulanger aux employés de la gare Saint-Lazare et les amoureux sur les ponts. Chaque image capture une ambiance nocturne unique, où l'atmosphère devient presque palpable.

Graffiti : art brut et témoignage populaire

Photo d'un graffiti prise dans la rue par Brassaï en 1950

Graffiti, 1950 - Crédit : Brassaï

En 1961, Brassaï publie Graffiti, fruit de nombreuses promenades où il immortalise les inscriptions murales. Ces textes griffonnés sur les murs des avenues, des passages, et même des halles, constituent un univers visuel souvent ignoré. Il considère ces graffitis comme une forme artistique spontanée, une écriture de la rue aussi légitime que la peinture. Grâce à cette série, le photographe élargit la définition de la création artistique, passant du musée à la maison close, de la galerie à la bibliothèque de la rue.

Secret des années trente et dualité jour/nuit

Avec des titres comme Paris secret des années trente, Paris Tendresse et Magic City, Brassaï dévoile les deux visages de la capitale : le Paris de jour, lumineux et affairé, et le Paris de nuit, mystérieux et poétique. Son album Histoire de Marie illustre la dimension intime de ses sujets, tandis que 60 photos inédites, rééditées récemment en héliogravure, offrent un aperçu inédit de son travail, du réel et du surréel se mêlent.

Impact, reconnaissance et héritage

Influence sur la photographie urbaine

En popularisant la photographie de nuit, Brassaï influence des générations de photographes, de André Kertész à Henri Cartier-Bresson, en passant par les contemporains étudiés par Quentin Bajac au Centre Georges Pompidou. Son sens de la composition et sa capacité à saisir la nuit ouvrent la voie au récit visuel de l'espace urbain.

La photographie comme art majeur

Photo de la salle d'exposition de l'expo "Graffiti par Brassaï" au Centre Georges Pompidou

Exposition “Brassaï Graffiti” au Centre Georges Pompidou en 2017

À une époque où la peinture dominait les expositions, Brassaï prouve que la photographie peut rivaliser en émotion et en profondeur. Il reçoit le Grand Prix de la Ville de Paris en 1978 et la Médaille de la Ville récompense son apport à la culture parisienne. Ses oeuvres sont exposées au Centre Pompidou, au MoMA de New Yorkn au Getty Museum de Los Angeles.

Postérité et rétrospective

Les grandes rétrospectives organisées dans les musées, les galeries et les archives photographiques rendent hommage à son travail. Les magazines spécialisés publient régulièrement les dossiers : de Mirrors, l'essai d'Henry Miller, à Gallimard qui édite des recueils d'ouvrages illustrés, on redécouvre sans cesse ses séries sur le secret et le quotidien parisien.

Techniques, objectifs et leçon pour les photographes d’aujourd’hui

Maîtrise technique

Apprentissage des temps de pose, de l'objectif, et de la sensibilité du film pour un noir et blanc maîtrisé.

Approche visuelle

Photo de la Seine et de la passerelle de Solferino prise en photo par Brassaï depuis le Pont Royal en 1933.

Passerelle de Solférino à travers le Pont Royal, 1933 - Brassaï

Adopter le regard du flâneur pour trouver la beauté dans les angles ordinaires, du mur tagué aux reflets sur l'eau.

Hommage au réel

Apprendre à exprimer la réalité tout en laissant place au fantastique, à l'imaginaire du spectateur.

Engagement social

Documenter toutes les strates sociales, de la haute bourgeoisie aux marginaux, pour un témoignage diversifié de la vie citadine.

En somme Brassaï a transformé le banal en extraordinaire, capturant le secret, la magie et la poésie du Paris nocturne. Son oeuvre ancrée dans l'histoire, la première moitié du XXe siècle, continue d'inspirer, de fasciner et d'interroger notre regard sur la ville, le quotidien et le réel rendu fantastique.


Maintenant que vous avez lu mon article, en espérant qu’il vous ai plu, enfilez votre appareil photo, et inspirez-vous de l’oeuvre photographique de Brassaï au quotidien et développez votre regard en transformant le banal en extraordinaire.


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FAQ

  • Le surréalisme a profondément influencé Brassaï en lui ouvrant les portes d'un univers où l'ordinaire devient extraordinaire. Inspiré par les écrits d'André Breton et les travaux de ses amis surréalistes, il a cherché à révéler le "réel" non pas tel qu'il se présente, mais tel qu'il vibre dans l'inconscient collectif. Ses images de rues désertes, d'ombres allongées ou d'objets banals deviennent des poèmes visuels, où le banal se pare d'une aura fantastique. En jouant sur les contrastes noir et blanc, la composition formelle et les perspectives parfois déstabilisantes, Brassaï transpose la vision surréaliste sur la pellicule : il capte l'instant où la réalité bascule dans le rêve, où un graffiti sur un mur, un lampadaire ou un reflet dans une flaque d'eau révèlent un monde secret et poétique, suspendu entre jour et nuit.

  • Par son album « Kiki et ses amies », Brassaï fixe sur la pellicule l’effervescence du Montparnasse des années 30, haut lieu de la bohème et du surréalisme. Kiki, muse de tous les artistes, symbolise cette période où la vie quotidienne se mêle à des techniques artistiques sous toutes ses formes : peinture, sculpture, dessin, poésie. Les clichés, souvent pris en intérieur, dévoilent les visages animés par l’ambition, la liberté et la camaraderie ; elles sont prises au café du Dôme ou à la Closerie des Lilas, lieux mythiques où Picasso, Man Ray ou Jacques Prévert se croisent. Brassaï rend ainsi hommage à un âge d’or artistique en capturant ces figures féminines qui incarnent la modernité, la créativité et la rupture avec les conventions, offrant un portrait vivant et intime de la capitale et de son univers surréaliste.

  • Pour Brassaï, chaque graffiti est un cri, une poésie urbaine spontanée qui s’inscrit dans le tissu de la ville. En photographiant les murs tagués, il s’intéresse moins au motif qu’à l’acte de création lui-même : l’écriture et le dessin clandestins deviennent des indices de la vie secrète et nocturne de Paris. Ces images traduisent un hommage aux marginaux, aux travailleurs de la nuit et aux anonymes qui, par leurs « expressions » (graffiti, collage, affiche arrachée), participent à l’écriture visuelle de la ville. Le contraste entre la matière brute du mur, l’encre ou la peinture écaillée, et la beauté formelle du cliché révèle la tension entre le réel (le béton, le gaz des réverbères) et le surréel, cette vision poétique d’un Paris interlope et enchanté.

  • Les années trente se définissent pour Brassaï par l’apparition d’une atmosphère de trouble : montée des tensions politiques, ombres de la guerre à venir, mais aussi quête de beauté dans un quotidien souvent austère. Ses images nocturnes, chargées de brouillard et de mystère, évoquent une « poésie noire » où chaque réverbère allumé, chaque silhouette anonyme, porte la mémoire d’un monde en mutation. Les travailleurs de la nuit comme les boulangers, policiers, prostituées du XIIIᵉ arrondissement, deviennent autant de figures symptomatiques d’une époque troublée ; ils incarnent la résistance à l’oppression du quotidien et l’urgence de capturer ces instants de vie avant qu’ils ne disparaissent. Ainsi, Brassaï relie la guerre latente, le rythme ordinaire de la ville et une vision esthétique profondément poétique, en jouant sur les ombres, les contrastes et les compositions géométriques pour traduire l’angoisse et l’espoir.

  • La parution de Paris de nuit aux éditions Gallimard (1933) et sa contribution régulière à la revue Minotaure ont propulsé Brassaï du statut de photographe de rue à celui d’auteur-­photographe reconnu. Gallimard, maison prestigieuse, lui offrit une légitimité littéraire et artistique, tandis que Minotaure, fer de lance du surréalisme, diffusait ses images auprès d’un public d’initiés et d’amateurs d’avant-garde. Ces publications ont consolidé son aura internationale, attirant l’attention des musées, des galeristes et des collectionneurs, jusqu’à des retours d’exposition au Centre Pompidou des décennies plus tard. Son nom devint synonyme de l’exploration poétique de la capitale, et son travail fut célébré comme un pont entre photographie documentaire et art visuel.

  • Ses rencontres avec Picasso, Man Ray, Dalí et les autres surréalistes ont nourri son désir d’expérimentation formelle. Picasso lui a ouvert la porte de son atelier, lui permettant de saisir des compositions sculpturales et picturales sous un éclairage inhabituel. Avec Man Ray, il a échangé des techniques d’héliogravure et de solarisation, poussant l’appareil Leica au-delà du simple enregistrement pour en faire un véritable outil de création. Ces collaborations ont élargi son champ d’inspiration : il est passé du documentaire pur à des images « montées » où la composition, la lumière et l’expression poétique convergent. En retour, son œil de photographe urbain a offert aux surréalistes une vision crue et intimiste de la vie parisienne, riche en découvertes visuelles.

  • Si Brassaï a commencé comme photographe de rue, c’est sa capacité à révéler le caractère nocturne de Paris qui l’a distingué. Là où le photographe de rue capte le flux diurne et populaire, Brassaï traquait les ombres, les silences et les échos des pavés à la lueur des lampadaires. Ses clichés n’illustrent pas seulement la rue : ils nous plongent dans un univers parallèle, à la limite du rêve et du souvenir, où la ville devient la protagoniste. Avec un sens aigu de la composition formelle et une maîtrise de l’éclairage artificiel (réverbère, boutique encore ouverte, reflet sur la Seine), il fixe des atmosphères envoûtantes, rendant chaque image inoubliable. C’est cette vision de nuit, profonde, noire et poétique qui fait de lui le véritable photographe des nuits parisiennes.

Theo Castillon

Originaire de Carcassonne, Théo CASTILLON est un auteur-photographe de paysages urbains, basé à PARIS.

Il est pâtissier le matin, et photographe le soir. Il est arrivé à PARIS en janvier 2017 afin de se perfectionner dans son métier de pâtissier, il est tombé amoureux de la capitale par la même occasion. Petit-à-petit son goût pour l’art s’est développé, et il a trouvé sa voie artistique dans la photographie lors du premier confinement, durant laquelle il s’est lancé dans la pratique assidue de la photographie de paysages en se formant toujours et encore avec les formations de Serge RAMELLI.

En novembre 2021, il a réalisé sa première exposition photo dans une galerie parisienne du XVIIe arrondissement de Paris, un peu plus d'un an après avoir commencé la photographie.

Aujourd'hui, je suis fier de pouvoir exposer et vendre mes photos sur ma boutique en ligne.

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